Lors de sa participation le 17 octobre dernier à notre séminaire sur la Petite Enfance, Agnès Florin, Professeur Emérite de psychologie de l’enfant et de l’éducation à l’Université de Nantes, est revenue avec nous sur les 3000 premiers jours de l’enfant et les grandes étapes du développement dans l’enfance.
« Est-ce qu’il est possible de découper le développement de l’enfant en périodes distinctes ? »
Oui et non ! Globalement, on a identifié des grandes étapes de développement dans l’enfance.
- L’Unicef a développé le concept des « 1000 premiers jours » et considère que les deux premières années de vie de l’enfant sont déterminantes pour son développement physique et psychologique.
- L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) s’attache quant à elle aux 3000 premiers jours de l’enfant, de sa conception à 7-8 ans. Mais ce qu’il est possible de prédire sur une grande population d’un point de vue statistique, n’est pas possible au niveau individuel. Et le développement n’est pas linéaire, il est fait de progressions rapides, de stagnations et de régressions. Il correspond à des vagues qui se chevauchent. De nouvelles acquisitions se traduisent parfois par de moindres performances par ailleurs.
Le développement varie d’un enfant à l’autre en fonction de ses expériences de vie – selon qu’il vit à la campagne, en ville ou dans la savane par exemple – mais aussi en fonction de son tempérament et des compétences que reconnaissent les adultes qui prennent soin de lui.
Il faut donc laisser aux enfants le temps de grandir, sans les laisser dans des difficultés qui risquent de devenir des troubles.
« Qu’est-ce qui, dans l’environnement de l’enfant, influence son développement ? »
Nous changeons parce que notre cerveau change mais aussi en fonction de nos expériences personnelles, de la culture et de l’éducation reçue. De 0 à 7 ans, l’univers des enfants s’élargit depuis une relation étroite avec la mère à la création d’attachements multiples petit à petit (les amis, les enseignants, les gens du quartier…). Ses centres d’intérêts se multiplient.
Il est important de penser le développement de l’enfant en tenant compte de ses conditions de vie, de son environnement familial mais aussi au-delà du cercle familial (ex : l’enfant est-il accueilli en crèche ou gardé au sein de la famille ?). Dans certaines cultures, il faut par exemple convaincre les parents de l’intérêt de la socialisation en dehors de la famille.
« Que sait-on du développement du cerveau du bébé ? »
On a beaucoup appris ces 30 dernières années sur la psychologie du bébé. Avant sa naissance, au stade du fœtus, le bébé développe sa perception et ses sens. Certains enfants peuvent exprimer des préférences sur des sons, des chansons, des goûts connus in utéro.
Il est capable de distinguer des sons de langues différentes (capacité de discrimination) et de trouver ce qu’il y a d’identique malgré les différences (capacité de catégorisation). Et dès les premiers jours de vie, il sait différencier son corps de celui d’une autre personne (sa réaction sera différente si son doigt touche sa joue ou si c’est un autre qui la touche). Ensuite, l’apprentissage va modifier la structure du cerveau du bébé.
« Comment le cerveau se développe-t-il en fonction des apprentissages reçus ? »
A sa naissance, le bébé a déjà 100 milliards de neurones. Son cerveau double de volume pendant sa première année de vie. Et progressivement, à partir de 3 ans, la densité du cerveau se réduit. Des connexions vont disparaître si elles ne sont pas activées au quotidien (on parle d’élagage synaptique). Cette modification se réalise à travers des expériences quotidiennes : les interactions, les manipulations d’objets, le partage des émotions, le jeu, la musique, la découverte du monde, l’expérimentation, les langues…. Par exemple, un bébé japonais et un bébé français ont la même capacité de perception des sons. Au fil du temps, ils vont faire du tri selon la langue pratiquée dans leur environnement. Sans stimulation, le jeune enfant subit une perte en terme de traitement de l’information.
Le développement cérébral de l’enfant facilite ses acquisitions cognitives, le contrôle de ses actions, de ses sensations et émotions.
« Comment les jeunes enfants apprennent-ils ? »
Les jeunes enfants apprennent soit de façon directe par la volonté de l’adulte d’enseigner des savoirs, des faits, des règles, des principes mais aussi de façon indirecte par les jeux partagés, les activités et situations de la vie courantes, …
« De quoi l’enfant a-t-il besoin pour apprendre ? »
Dès la naissance, les bébés ont besoin de proximité physique et de sécurité affective. Ils ont besoin d’attachement, d’une relation stable et sécurisante avec une personne capable de comprendre, de ressentir leurs émotions et d’y répondre.
Quand l’attachement est dit « sécurisé », l’enfant sait qu’il peut compter sur quelqu’un ; ce qui favorise sa prise d’autonomie, la qualité de ses relations sociales, ses aptitudes cognitives et langagières.
En revanche, si l’attachement est « insécurisé » (jusqu’à la maltraitance), l’enfant peut développer des difficultés comme de l’anxiété, de la passivité, de l’agressivité, de la grande dépendance à l’égard des adultes, … Mais au fil du temps, l’enfant développera des attachements multiples et des relations positives et sécurisées avec d’autres personnes peuvent le sécuriser.
Par ailleurs, les enfants ont besoin de sommeil pour apprendre : environ 13h entre 2 et 5 ans, 9h à 11h entre 6 et 12 ans et 8h à 10h pour les adolescents. Aujourd’hui, les enfants manquent globalement de sommeil, ce qui peut engendrer des difficultés de concentration et d’apprentissage.
« Intervenir dès les premières années de vie de l’enfant »
Il est important de développer des politiques publiques pour la Petite Enfance. Avec une grande plasticité neuronale, le développement du cerveau est en effet immense pendant les premières années de vie. C’est aussi une période de grande vulnérabilité : les privations, les expériences négatives, la violence, le manque de soin constituent des risques pour le développement de l’enfant et peuvent provoquer des retards de développement. Mais n’oublions pas que le développement dure malgré tout toute la vie, de la conception jusqu’à la mort.
