En Mars 2020, notre équipe en charge du projet Accompagnement familial et Habitat (Hali) au Cambodge, a réalisé une étude auprès de familles issues du quartier précaire de Borei Keila à Phnom Penh et relogées par l’Etat dans des logements sociaux. Son objectif : analyser les changements des conditions de vie de ces familles et émettre des recommandations aux autorités locales pour résoudre la crise du logement à Phnom Penh.
En bref
Il y a 10 ans au Cambodge, l’État a mené un projet ambitieux de relogement des habitants d’un bidonville sur site, en construisant des logements collectifs. La densification de l’habitat a permis de libérer des parcelles qui ont ensuite été vendues. La plus-value immobilière a financé la construction des logements donnés aux habitants des bidonvilles.
Que sont devenues ces familles ? Leur nouveau logement moderne leur a-t-il permis de sortir de la pauvreté ?
C’est ce que notre équipe attachée à l’amélioration des conditions d’habitat à Phnom Penh a cherché à savoir à travers la réalisation d’une évaluation, en interrogeant les habitants du quartier de Borei Keila.
L’étude a permis de mettre en avant des résultats encourageants :
En passant du bidonville à l’appartement, les habitants ont conservé leurs habitudes et même renforcé leurs liens communautaires. Malgré les réticences traditionnelles à habiter un logement collectif, 95% jugent l’appartement confortable.
Par ailleurs, 43% des personnes interrogées qui vivaient auparavant dans le bidonville de Borei Keila ont déclaré vouloir déménager pour avoir un logement de meilleure qualité. Ce n’est pas un signe de mécontentement, mais c’est au contraire très prometteur car cela montre que le relogement a permis aux personnes d’avoir de plus grandes aspirations en matière d’habitat. L’accès à ce logement ne constitue pour eux qu’une étape transitoire et souligne leur volonté et leur motivation pour bénéficier de meilleures conditions de vie. Cela témoigne d’une ascension sociale pour ces familles relogées.
L’enquête a analysé les conditions de vie de 96 familles habitant à Borei Keila, l’unique site de logement social créé par le gouvernement à Phnom Penh. Ces 96 familles représentent 7% de l’ensemble des occupants des nouveaux bâtiments. Entre 2007 et 2012, 1344 appartements ont été construits et proposés aux familles les plus précaires de Borei Keila.
Les principaux résultats de l’étude
- Les nouveaux appartements ont été construits dans le même quartier ; ce qui a permis aux habitants de rester sur place et aux activités commerciales de se poursuivre. Les habitants interrogés ont apprécié cette stabilité et estiment même que les relations de voisinage se sont améliorées.
- 80% des familles interrogées estiment que leurs conditions de vie se sont améliorées
- 85% estiment que leur logement est moins soumis aux risques naturels qu’avant (inondations, incendies, vents violents…)
- 79% des habitants estiment que leur situation financière s’est améliorée.
Mais l’étude a également mis en lumière quelques limites
- 77% des habitants interrogés soulignent des efforts à faire en matière de gestion des déchets, 74% sur la propreté et 55% sur la sécurité. L’étude montre d’ailleurs que les gens qui se sentent les plus en sécurité sont ceux qui disposent d’un revenu plus important.
- L’entreprise en charge du projet, PHANIMEX, n’a construit que 8 immeubles sur les 10 annoncés, laissant donc de côté 330 familles.
- Alors que certains appartements sont sous-occupés (1 habitant seulement), d’autres sont sur-occupés (17 personnes dans un logement de 40m²).
La méthode utilisée pour l’étude
Pour réaliser l’étude, des entretiens individuels en face à face ont été menés avec un membre de chaque famille ainsi qu’avec des leaders communautaires comme le chef de quartier. L’étude a sélectionné de façon aléatoire 2 familles par étage et par bâtiment pour disposer d’un échantillon représentatif de 96 familles.
Il convient de souligner que les personnes interrogées était nécessairement présentes pendant la journée. L’enquête a en effet été réalisée en journée car le quartier est considéré comme dangereux le soir.
De plus, un nombre limité de résidents ont refusé de répondre aux sondeurs, affirmant ne pas avoir le temps ou n’être pas intéressés. Nous pouvons supposer que le profil de ces personnes n’est pas très différent de celui des répondants, car leur méfiance peut indiquer, par exemple, une insatisfaction à l’égard de la gestion de l’immeuble.
Quelle conclusion en tirer ?
Cette étude nous a donc permis de tirer des enseignements et des recommandations sur la mise en œuvre d’un tel projet.
Le bilan est plutôt positif. L’accès au logement a permis à ces familles d’améliorer leurs conditions de vie, de mieux se protéger des inondations et incendies mais également de retrouver un accès courant à l’eau et à l’électricité. L’occasion finalement pour ces familles de renouer avec des conditions de vie dignes et pour les enfants de grandir dans un environnement sain et sécurisé.
Nous encourageons ce type de projet mené par l’État à Phnom Penh en veillant à améliorer le suivi de projet et l’implication des habitants notamment. Pour répondre au mieux à leurs besoins, il est préférable de les impliquer dans le projet de construction. Cela peut par exemple permettre d’identifier et de prendre en compte les besoins particuliers de personnes en situation de handicap. Ou encore, nous conseillons d’accompagner le projet d’un volet de sensibilisation des habitants sur l’entretien des espaces : gestes éco-responsables et tri des déchets.
La pauvreté urbaine, un défi au Cambodge
Suite à la croissance économique rapide et à l’exode rural massif qu’elle a entraîné, entre 26 000 et 70 00 familles vivent aujourd’hui dans des conditions insalubres à Phnom Penh. 1 personne sur 5 vit dans un bidonville et rencontre donc des problèmes quotidiens d’accès à l’eau et à l’hygiène.
Une situation d’autant plus alarmante qu’en 2050, 36% de la population cambodgienne devrait habiter en ville.
Depuis 2017, les projets d’habitat social font partie intégrante de la loi pour reloger les familles les plus précaires.
La qualité du lieu de vie impacte en effet la famille dans son ensemble mais aussi et surtout les enfants, qui grandissent mieux dans un environnement sain et protecteur.
Pour aller plus loin :
– L’intégralité de l’étude disponible sur notre site Internet (en anglais)
– Etat des lieux de la « jungle urbaine » à Phnom Penh et témoignage de notre responsable de projet « Habitat » au Cambodge, Pierre Larnicol (Avril 2019)
15 Avril 2020