Quels sont les dangers des écrans pour les enfants ? Les effets des écrans sur la santé des enfants et sur le cerveau ? Ecrans et sommeil ? Peuvent-ils développer une addiction… Voici quelques-unes des questions que nos participants ont posé à Serge Tisseron, psychiatre et docteur en psychologie, ce mercredi 19 octobre lors de notre séminaire consacré à la Petite Enfance.
La question des effets des écrans se pose dans tous les pays pour les très jeunes enfants. C’est une question sur laquelle les recherches ont beaucoup évolué. Longtemps considérés comme néfastes, il s’agit aujourd’hui de comprendre comment les écrans peuvent s’intégrer dans la vie sociale et familiale et favoriser le développement des usagers. On peut y passer trois jours et perdre son temps ou au contraire développer sa créativité et se socialiser.
« L’une des questions principales aujourd’hui, c’est le sommeil »
Pendant longtemps, on a dit que les écrans provoquaient chez les enfants des troubles alimentaires, de l’humeur, de l’attention et de la concentration, une baisse des résultats scolaires… Finalement, aujourd’hui, on se préoccupe davantage du manque de sommeil, responsable en partie de ces troubles. Les enfants et les adolescents ne dorment plus assez (trop d’écrans et de lumière bleue dans les chambres !).
« Quels sont les effets des écrans sur la santé et le développement des enfants ? »
A ce jour, on sait que les enfants qui regardent beaucoup les écrans peuvent développer des problèmes de vue liés à la lumière bleue des écrans. Mais on sait aussi que cette lumière bleue diffusée par leds est noyée dans tout l’environnement urbain, familial et social (parking, éclairage urbain et du domicile…). Ces leds produisent l’équivalent de la lumière du soleil dans un pays très ensoleillé à midi. Par conséquent, le cerveau est trompé. Pensez donc à réduire progressivement l’intensité des lumières dans vos domiciles et la consommation d’écrans en fin de journée pour informer votre cerveau.
« Faut-il interdire les jeux vidéo violents aux enfants ? »
Nous avons longtemps considéré que les jeux violents pouvaient provoquer des comportements violents chez l’enfant. Toutes ces études ont été invalidées, nous en sommes scientifiquement au niveau 0 ! Aujourd’hui, nous ne savons pas définir de lien de cause à effet. Mais nous constatons par ailleurs que la pratique de ces jeux, souvent en réseaux, obligent les joueurs à développer des stratégies sociales complexes et innovantes.
« Peut-on développer une addiction aux écrans ? »
Aujourd’hui, la seule forme d’addiction reconnue par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est le « trouble du jeu vidéo » (Gaming disorder), diagnostiqué chez les enfants désocialisés et déscolarisés depuis plus de 12 mois. Dans les autres cas de consommation excessive, on ne parle pas d’addiction. Par ailleurs, la plupart des adolescents réajustent leur consommation d’écrans naturellement à l’entrée dans l’âge adulte.
« Peut-on interdire les écrans aux enfants avant 12 ans ? »
Il est très compliqué d’interdire les écrans aux enfants à notre époque (les écrans sont chez les amis, la famille élargie, dans l’espace public…). De plus, l’interdit peut provoquer le secret et la cachoterie et ainsi réduire les espaces de communication avec les enfants. Si l’enfant pense que ses parents condamnent les écrans, il cachera ses pratiques. Mieux vaut réguler.
« Faut-il limiter le temps de l’enfant passé sur écran ? »
Le temps passé sur l’écran n’est plus le sujet central des chercheurs. Les études actuelles pointent davantage la nécessité de tenir compte de plusieurs facteurs : l’âge des enfants, les outils utilisés, les contenus, l’accompagnement autour de l’écran et les facteurs externes (comme les conditions de vie, les activités de loisirs …). Pour Serge Tisseron, au delà du temps d’écran, l’important est d’accompagner l’enfant autour de l’écran.
« Les repères 3-6-9-12 de Serge Tisseron, apprivoiser les écrans et grandir »
- Avant 3 ans : jouez, parlez, arrêtez la télé.
Pas de télévision avant 3 ans, ni de smartphone interposé entre l’adulte et l’enfant. Quand un adulte interagit avec son enfant tout en regardant son smartphone, ses phrases sont plus courtes, les émotions et la qualité de l’échange sont altérées. Aujourd’hui, le problème des bébés, c’est le smartphone des parents. On parle de technoférence (« interruptions quotidiennes dans les interactions interpersonnelles ou dans le temps passé ensemble en raison des dispositifs technologiques, numériques et mobiles » selon Brandon McDaniel).
- De 3 à 6 ans : limitez les écrans, partagez-les, parlez-en en famille
- De 6 à 9 ans : créez avec les écrans, expliquez-lui internet
- De 9 à 12 ans : apprenez-lui à se protéger et à protéger ses échanges
- Après 12 ans : restez disponible, il a encore besoin de vous
Le professeur Serge Tisseron a remarqué que beaucoup d’adolescents utilisent les écrans pour communiquer avec les autres : « ils ne sont pas accro à leur téléphone mais accro à leurs amis. Ils communiquent par téléphone, tout en étant côte à côte, pour empêcher les adultes d’entendre leurs conversations. Ils développent aussi une intimité d’écran autour de leurs centres d’intérêts communs. »
En savoir plus les balises 3-6-9-12 développé par Serge Tisseron sur le site de l’association 3-6-9-12.
« 3 principes éducatifs guident la gestion des écrans avec les enfants : alternance, accompagnement, auto-régulation »
- Alternance : alterner les activités avec et sans écrans, varier les programmes regardés, les jeux vidéo explorés…
- Accompagnement : parler avec l’enfant de ce qu’il voit et ce qu’il fait avec les écrans, de ce qu’il éprouve. En encourageant l’enfant à raconter, on lui apprend à se socialiser par le langage. Un enfant qui sait raconter, sait se mettre en valeur, se faire des amis, plaider sa cause… Il prend aussi du plaisir dans l’échange.
- Auto-régulation : en apprenant à s’auto-réguler, l’enfant gagne en autonomie et apprend à s’interdire des actions quand elles sont nuisibles. A partir de 6 ans, la consommation des écrans s’organise finalement de la même façon que les repas : donnez à vos enfants « une tranche d’écran ». Ainsi l’enfant apprend par exemple à attendre et à lire l’heure pour gérer son temps d’écran.
Finalement, on assiste à la fin de la théorie de la substitution. On s’intéresse beaucoup plus à ce qui est proposé à l’enfant et ce qu’il fait quand il n’est pas devant un écran ; et à la façon dont le temps d’écran s’intègre à la vie sociale de l’enfant.
Aujourd’hui, le problème essentiel est la disparité sociale. Les enfants vivant dans des milieux précaires sont soumis à une exposition plus importante aux écrans car les familles n’ont pas forcément les moyens d’offrir aux enfants d’autres activités, espaces de jeux, loisirs, vacances qui participent à leur développement.